Critique Les Ouvertures de Verdi

Revue de presse

Une mise en exergue s’inscrivant dans la filiation des chefs italiens de grande classe

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6 avril 2019

L’originalité alliée à la rareté

Sauf erreur, pour la première fois la ville de Lyon peut entendre un programme exclusivement bâti sur des pages orchestrales de Giuseppe Verdi. L’idée a le double mérite de l’originalité alliée à la rareté. Elle pourrait même s’appréhender dans l’esprit d’une gigantesque symphonie en une dizaine de mouvements. Rappelons qu’une seule fois, à l’O.N.L, le chef Lawrence Foster avait – dans le même esprit – tenté l’expérience avec Beethoven, en proposant les ouvertures Leonore I, II & III conçues pour son opéra avant celle de Fidelio.

l’énergie naturelle de ses instrumentistes pour aboutir à un bon équilibre des plans sonores, ce qui relève de l’exploit dans ce lieu à l’acoustique si réverbérante. En outre, les vraies subtilités de l’instrumentation (jeu des cordes aiguës, parties aiguisées de bois ; dont les flûtes, ici très sollicitées) accèdent à une mise en exergue s’inscrivant dans la filiation des chefs italiens de grande classe. L’on admire les archets jouant staccato avec une énergie exaltée le thème de la Malédiction, tout en conservant une appréciable clarté. Seule la coda produit une sensation d’écrasement, hélas inhérente à la résonance de la Chapelle de la Trinité.

L’on passe aussitôt à Attila, dont le Prélude est restitué dans tous ses affects : grandeur de la plainte, barbarie brutale, jusqu’au tremolo conclusif particulièrement.

De son côté, Jean-Philippe Dubor opte, à une exception – justifiée – près, pour un intelligent parcours chronologique à la teneur quasi initiatique. Renouant avec une tradition qu’il avait
délaissée ces dernières années, il présente lui-même le concert, introduisant les aspects historiques, sociologiques et musicologiques des œuvres. L’on y déplore que de menues approximations (exemple : les décès de la première épouse du compositeur et de leurs enfants n’ont pas eu lieu la même année, mais se sont étalés sur trois ans, de 1838 à 1840). Dans l’ensemble, le propos s’avère juste, éclairant autant que captivant, apte à séduire les mélomanes chevronnés comme les néophytes.

Appartenant à la catégorie des ouvertures de type « Pot-pourri », celle de Nabucco délivre quelques- uns des thèmes les plus saillants entendus ensuite dans le cours de l’opéra. Pour séduisante qu’elle puisse être, le principal danger auquel elle expose le chef consiste à s’abandonner à la fougue et ne pas contrôler suffisamment le volume sonore des passages en tutti ou ceux dominés par les cuivres et la percussion. Soulignons que Jean-Philippe Dubor réussit cet exercice et parvient à doser suffisamment enveloppant des cordes. Le faire suivre de celui composé pour Macbeth un an plus tard permet opportunément d’apprécier autant les similitudes que les progrès stylistiques. Fréquentant de longue date l’univers du premier opéra shakespearien de Verdi, le chef s’investit avec une folle détermination, dispensée à foison dans ce prélude à l’Acte I. Néanmoins, rien n’est oublié et le noble phrasé des violons y fait autant merveille dans le motif du somnambulisme que les bois lorsqu’ils évoquent les sarcastiques sorcières.

Attention : création lyonnaise

Attention : nous avons droit à rien moins qu’une création lyonnaise avec le Prélude écrit pour I Masnadieri à Londres. S’il n’est pas impossible que Daniele Rustioni nous réserve dans les années à venir la surprise de proposer l’œuvre intégrale (NB : Ernanisera à l’affiche la saison prochaine), Jean-Philippe Dubor nous offre la primeur de cette page introductive d’une rare élégance. Dans sa consistante partie de violoncelle solo, Nicolas Seigle fait merveille, exhalant dans l’évolution douloureuse de la ligne mélodique une indicible émotion.

Arrivent les incontournables extraits de La Traviata. Se colleter à des pages aussi connues et rabâchées comporte toujours un risque. Or, sans se hisser au niveau des plus bouleversantes interprétations, celle du Prélude du I soutient sans peine l’intérêt et demeure constamment de haute tenue. En revanche, celui du dernier acte nous apparut rarement aussi suggestif. La description de l’extinction progressive d’un être atteint ici une dimension inusitée. La lecture semble chirurgicale, presque au scalpel, produisant une pénible – autant qu’opportune – sensation de malaise, oppressante comme rarement. Incontestablement, voilà une fascinante vision, qui doit probablement beaucoup à la vocation médicale princeps du chef !

Plat de résistance du menu, plus entendue à Lyon depuis l’un des tous premiers concerts dirigé par Emmanuel Krivine à l’O.N.L, la grande ouverture des Vêpres Siciliennes (la plus vaste de Verdi) exige énormément de tous les protagonistes. Pour ce deuxième opéra français, la référence du compositeur italien se situe dans l’ouverture de La Muette de Porticid’Auber.

Si l’incipit manque de mordant côté cordes, l’introduction lente gagne peu à peu en intensité pour atteindre le niveau d’angoisse indispensable avant l’explosion du tutti dans le thème de la révolte. Judicieusement, Dubor ne précipite pas le tempo en général. Développé dans le duo Henri / Montfort de l’Acte I, le thème lyrique dévolu aux violoncelles s’épanouit avec majesté, avant une exposition philologique du motif festif. Le modèle d’Auber semble ici correctement assimilé. Le maestro laisse sa phalange respirer large, sans presser le tempo, frôlant l’idéal.

Élan d’inspiration hors du commun

Particulièrement ressenti, le Prélude conçu pour Un Ballo in maschera bénéficie d’une restitution captivante, dont émerge spécialement le leitmotiv – traité en fugato – des conspirateurs, ici très intense, voire acéré. En revanche, l’on sera plus réservé sur celui de la passion, les violons affichant soudain un inexplicable déficit de lié et d’homogénéité.

La faiblesse n’est que passagère et disparaît avec Aida. Si Dubor déclare aspirer à nous offrir un jour la création lyonnaise de la grande ouverture élaborée par Verdi pour la création milanaise, il faut se contenter ce soir du traditionnel Prélude. Nos artistes le restituent avec toute la subtilité requise. Le thème de l’héroïne s’avérant ici singulièrement fragile et touchant, tout en luttant ensuite avec bravoure contre celui des prêtres de Ptah.

Petite entorse délibérée à la chronologie, le concert s’achève par la plus célèbre des ouvertures verdiennes : celle de La Forza del Destino, composée pour la seconde mouture de l’opéra, présentée à Milan en 1869, sept ans après la création pétersbourgeoise. Soulignons un fait : par rapport à l’exécution précédente de 2017 (pourtant fort appréciée ; avec les mêmes orchestre et chef), la présente audition montre autant de différences qu’entre le Jour et la Nuit ! Plus pathétique et intense, elle fait sourdre un émoi à tirer les larmes. Toute la phalange se surpasse, couronnant ce splendide programme d’un élan d’inspiration hors du commun.

Patrick Favre-Tissot Bonvoisin

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