STABAT MATER de ROSSINI

Revue de presse

Cheminement bouleversant pour le plus triomphant des Stabat Mater

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27 mai 2016

Alors que nous connaissions bien sa vision de la Petite messe solennelle, jamais encore nous n’avions eu l’opportunité d’entendre Jean-Philippe Dubor diriger le Stabat Mater du même Rossini. L’attente ne se trouve pas déçue. Au-delà d’une interprétation d’une rare intensité, la soirée s’ouvre sous les meilleurs auspices grâce à la présentation de l’œuvre assurée par Henri Brenders. Membre du chœur, l’intervenant a magistralement planté le décor dans un exposé à la fois synthétique, documenté, d’une notable précision historique. Un exemple à suivre.
 

Sentiment de religiosité clairement défini autant qu’assumé

Très retenue, l’introduction donne le ton : pour tragique qu’elle puisse être, l’ambiance sera enchâssée dans un sentiment de religiosité clairement défini autant qu’assumé. Le fait mérite qu’on le souligne, tant il devient rare en raison de la navrante disparité des baguettes qui dirigent de nos jours cette partition. Aucune ambiguïté donc avec Jean-Philippe Dubor, qui prouva – de longue date – l’entendement de ses approches autant que sa capacité supérieure à assimiler les plus diverses esthétiques dans le domaine spirituel. Il se place ici dans la ligne directe de Carlo Maria Giulini, avec une durée totale d’exécution presque identique (65’40’’, pour 65’18’’ dans la version de référence gravée par le maître italien et publiée en 1982 par DGG).D’emblée les très hautes tenues des chœurs autant que de l’orchestre frappent l’ouïe. Les premiers feront constamment preuve d’une distinction exceptionnelle, mais plus spécialement encore dans les passages à découvert où l’on frise l’anthologique. Quant au second, il présente ce soir une palette étonnement vaste : rondeur des cordes, bois d’une clarté presque crue voire surexposée, cuivres rougeoyants. Conjugué au contrôle millimétrique de la masse chorale, tout cela augure bien de la suite des évènements. Toutefois, nul n’ignore que cet ouvrage exige d’abord un quatuor de solistes vocaux d’une trempe exceptionnelle. Rappelons qu’en 1842, pour la création de la mouture définitive, brillaient les noms des stars Giulia Grisi, Mario di Candia et Tamburini auprès de la plus discrète Emma Albertazzi.Le ténor connaît le redoutable privilège de se voir dévolue la première section en solo. Fort apprécié l’an passé dans Orff [voir en archives : chroniques Lyon-Newsletter.com de Juin 2015], Karl Laquit ne dispose certes pas du métal claironnant exhibé par la plupart de ses devanciers dans Cujus animam. Cependant, l’oreille s’accoutume aisément à cette émission plus veloutée que de coutume, sa musicalité quasi sophistiquée traduisant une démarche artistique aussi intègre que clairvoyante. Déplorons simplement – une fois n’est pas coutume – que le chef ne dose guère, à cet instant précis, le volume sonore d’instrumentistes qui couvrent souvent le chanteur dans les registres grave et médium. Impavide, Karl Laquit couronne néanmoins la cadence écrite d’un confortable contre-ré bémol, attaqué piano et enflé en voix mixte avec un art consommé.

Vanessa Bonazzi et Anthea Pichanik révèlent une juste compréhension du style rossinien

Dans Qui est homo, l’association de Vanessa Bonazzi à Anthea Pichanik fonctionne aussi admirablement que dans le Stabat Mater de Dvorák l’an passé [voir en archives : chroniques Lyon-Newsletter.com de Mars 2015]. Outre que les deux brillantes cantatrices révèlent une juste compréhension du style rossinien, leurs unissons procurent invariablement d’indicibles sensations physiques.Sans surprise, Wassyl Slipak couvre toute la redoutable tessiture de la partie de basse avec un aplomb peu commun. Ce nonobstant, force est de constater que, dans le détail, l’écriture ne s’accorde pas toujours idéalement à ses moyens au niveau de la souplesse. Si le souffle ne se trouve jamais pris en défaut, les brefs passages vocalisés le mettent mal à l’aise. Il devient dès lors évident que cette grande voix peu ductile serait plus à son avantage dans la Missa da Requiem de Verdi ou d’autres parties plus déclamatoires du répertoire sacré. D’autres soucis (la justesse ?) l’affectent-ils pour que sa partie soit temporairement confiée au précis Guy Lathuraz dans l’a cappella du Eja mater ? La question demeure ouverte mais ne saurait remettre en cause les moyens colossaux d’un bel artiste, que nous savons indubitablement plus à l’aise dans l’opéra et le répertoire du second romantisme en général. D’ailleurs, les limites disparaissent dans Sancta mater où Slipak rejoint l’intégrité de ses partenaires, révélant une gamme de nuances confondantes de naturel.

La conclusion atteint un degré stupéfiant d’intensité, débordant du cadre

Les somptueuses interventions de cors ouvrant le Fac ut portem semblentinspirer Anthea Pichanik dont les moyens ne cessent de gagner en opulence d’année en année. Cette vertu ne nuit aucunement à l’élégance d’une artiste toujours soucieuse de défendre la prosodie, ce jusque dans les grands écarts de tessiture crânement assumés. Elle déploie alors un registre aigu dont elle n’avait jamais encore, à ce point, dévoilé les ressources.Cette satisfaction à peine appréciée, nous continuons sur les cimes : même si l’on s’y attendait, entendre Jean-Philippe Dubor s’investir comme si sa vie en dépendait dans l’introduction d’Inflammatus et accensus révèle nettement l’avant-gardisme de cette page, ses accents donizettiens voire pré-verdiens. Vanessa Bonazzi le suit sans faiblir dans cette périlleuse direction, communiquant des frissons de terreur. Tel un Vésuve en éruption, la conclusion atteint un degré stupéfiant d’expansion, débordant du cadre. Elle apporte ainsi un terme parfaitement approprié au cheminement bouleversant pour le plus triomphant des Stabat Mater, peignant une grandiose fresque d’église napolitaine. La justesse de cette vision rappelle ainsi opportunément combien Rossini fut imprégné – huit années durant – par la vision des signes les plus extériorisés de la foi, inhérents à la cité parthénopéenne.

Patrick Favre-Tissot-Bonvoisin

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