Critique Requiem de Franz von Suppè

Revue de presse

Ouvrir noblement les célébrations du bicentenaire

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2 janvier 2019

Alors qu’au récent Concert du Nouvel An des Wiener Philharmoniker, Christian Thielemann a étrangement oublié d’honorer Franz von Suppé par l’une de ses célèbres ouvertures, l’on ne peut que féliciter Jean-Philippe Dubor. Grâce à lui, Lyon a – pour une fois (ne rêvons pas à l’excès !) – fait mieux que la capitale autrichienne, en ouvrant noblement les célébrations du bicentenaire de la naissance du compositeur de Cavalerie légère (Leichte Kavallerie). À notre connaissance, son Requiem n’avait, jusqu’à présent, jamais connu d’exécution lyonnaise par un ensemble professionnel ni des institutions consacrées (O.N.L, Opéra…etc.). Nous avons seulement souvenir d’un bon concert, donné en mai 1999 à l’Auditorium Maurice Ravel, mais sous l’égide des chœurs amateurs de l’Université Catholique et de l’École Normale Supérieure de Lyon, dirigés par Rémy Fombon et Jean-François Le Maréchal (ce dont atteste un enregistrement sur CD). En conséquence, le choix de l’ensemble Les Siècles Romantiques est à complimenter doublement.

Le ton juste entre solennité et recueillement

Après une captivante présentation, puissamment documentée, proposée par Henri Brenders, le ton est donné. Dès l’Introït-Requiem, Jean-Philippe Dubor fait comprendre au public combien il faut appréhender cette œuvre avec sérieux.

Trouvant d’emblée le ton juste entre solennité et recueillement (deux vertus ici aussi complémentaires qu’indispensables), disposant d’une phalange fastueuse, le chef met subtilement en valeur les effets issus d’une orchestration soignée. Sa direction est lyrique mais nerveuse, avec des tempos plutôt serrés globalement (1H14’ en durée totale), stylistiquement en adéquation avec les exigences de l’écriture. La fugue du Kyrie eleison (où l’on devine les références aux modèles danubiens du Classicisme) permet d’évaluer l’excellence technique des différents pupitres du chœur ainsi que leurs étonnantes capacités expressives. Ce, sans omettre de relever leurs appréciables ressources en contrôle du volume. Vertus confirmées dans un Dies irae dépassant en mordant les rares gravures discographiques existantes [NB : à défaut de mieux, nous recommandons plutôt à nos lecteurs la version gravée en 1994 par des forces zurichoises placées sous la direction de Edmond de Stoutz, parue chez NOVALIS].

L’on est ensuite saisi par les belles et franches évolutions des pupitres de cuivres, préludant à une prestation où la basse Ugo Rabec assume crânement les redoutables écarts de tessiture, tout en déployant les moirures d’un timbre réellement magnifique. Le Rex tremendae (qui ne masque pas sa source, trouvée chez Saverio Mercadante) permet de jauger l’excellent équilibre sonore, un savant dosage entre les forces en présence. Au premier chef, complimentons un quatuor de solistes très homogène, spécialement dans la section Ingemisco, ici saisissante (avec le soutien de cordes graves impériales) ou dans un Benedictus a cappella anthologique.

Un chant parsemé des plus délicates inflexions

Le Lacrimosa permet une bonne estimation des aptitudes de la mezzo-soprano Alice Didier. Aucune vaine démonstration de la part de cette interprète sensible mais, au contraire, un chant nuancé, sobre, mesuré, particulièrement touchant, parsemé des plus délicates inflexions. Sommet de la partition, l’Hostias et preces se trouve remarquablement servi, tant par des instrumentistes de haute tenue que par la nouvelle intervention poignante de la basse (et avec quelle inestimable conduite de la ligne et du souffle !). Ne bénéficiant pas dans la partition de longues plages en solo propres à mettre en exergue le talent que nous leur connaissons, Vanessa Bonazzi et Karl Laquit accomplissent néanmoins leur tâche avec une ferveur bien digne des artistes de haut lignage qu’ils demeurent en toutes circonstances.

Au terme de ce parcours inspiré, rendons hommage au maître d’œuvre : Jean-Philippe Dubor croit à juste titre en cet ouvrage et parvient à communiquer sa conviction à toutes les forces en présence. Puisse cette vigoureuse interprétation (qui aurait mérité d’être immortalisée au disque) donner des idées aux programmateurs dépourvus d’imagination (et Dieu sait s’ils sont légions !). Dans l’immédiat, une réflexion – voire un vœu – s’impose : les Siècles Romantiques et leur chef nous offriront-ils, dans un avenir pas trop lointain, la création lyonnaise de la Missa Dalmatica du même Franz von Suppé ? Nous le souhaitons ardemment et que l’accomplissement de ce soir se reproduise alors !

Patrick Favre-Tissot Bonvoisin

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