Jean-Philippe Dubor et ses Siècles Romantiques ôtent de l’oubli le Requiem de Franz von Suppè pour en proposer le sentiment spirituel profond et la surprenante actualité. Constituant le deuxième concert de la nouvelle programmation de l’ensemble, le Requiem a retrouvé sa superbe à la chapelle de la Trinité de Lyon ce dernier 15 janvier .
Si la musique de Franz von Suppè demeure encore, malgré tout, dans le répertoire de certaines structures et orchestres, c’est grâce à son caractère léger et à ses ouvertures perçantes. Mais ce qui se perd, dans cette présentation partielle et anecdotique, est l’ensemble de sa production, l’intégrité d’une œuvre nécessitant d’être étudiée et redécouverte. C’est pour cette raison que la présence d’une soirée consacrée à son œuvre sacrée, et plus précisément, à son Requiem, représente un véritable événement dans la saison musicale lyonnaise. Sortir de l’oubli cette œuvre pour la présenter (enfin) à Lyon était une occasion trop tentante pour ne pas l’expérimenter. Et la rencontre avec ce travail sous la direction de Jean-Philippe Dubor, ce dernier 15 janvier, n’a pas déçu les attentes, montrant sa force et sa profondeur. Franz von Suppè (Francesco Ezechiele Ermenegildo, cavaliere Suppè-Demelli de son vrai nom) né à Split à l’époque de l’Empire Austro-hongrois, reste encore aujourd’hui majoritairement connu pour sa production d’opéras et de farces, plus que pour ses travaux « sérieux ». Mais dans son catalogue apparaissent maintes œuvres sacrées et ce Requiem mérite une attention toute particulière. Composé en 1855 à la mémoire de son ami et mentor le directeur du Theater in der Josephstadt de Vienne Franz Pokorny, il était destiné à une messe commémorative célébrée dans l’église des Piaristes de Vienne cinq ans après la mort de Pokorny. Peu après sa création, cette Missa pro defunctis sera malheureusement abandonnée jusqu’à la fin du XXe siècle. Le premier enregistrement fut celui de Wolfgang Badun, avec le Jugendsinfonieorchester de Bonn et la chorale franco-Allemande de Lyon et Paris, mais nous tenons à citer aussi les remarquables d’Edmond de Stoutz et de Michel Corboz.
La soirée s’annonçait déjà exceptionnelle et Jean- Philippe Dubor nous a livré une belle performance, épurée, polie, sincère. Le chef d’orchestre choisit une approche qui se soustrait à la somptuosité pour aborder l’œuvre avec une modération sans pourtant influencer son intensité. Ce choix se révèlera stratégique et parfaitement réussi. Le chœur émeut immédiatement dans un Dies Irae puissant, grandiose, éminemment romantique et très moderne (nous voyons ici une anticipation – de presque un siècle – de la force d’une œuvre comme les Carmina Burana de Carl Off).
Le mouvement suivant, Tuba mirur, magnifiquement ouvert par les cuivres, voit la première intervention de Ugo Rabec, basse sévère et juste aux profondeurs infernales. Dans le Recordare nous retrouvons une des voix qui nous fascinent le plus, celle du ténor Karl Laquit. Après une ouverture très douce, sa voix illumine la scène de sa puissance Un dialogue s’installe immédiatement avec Vanessa Bonazzi, soprano lyonnais en soirée de grâce. L’orchestre incarne parfaitement la force surprenante de ce Requiem et quelques échos verdiens semblent résonner ici. Après un Confutatis qui ne montre pas un intérêt particulier, se déploie le mouvement peut-être plus fascinant de l’œuvre : le Lacrimosa. Le mezzo- soprano Alice Didier s’oppose à tout esthétisme pour livrer une performance remarquable grâce à son chant intense et corposo. L’appel des trompettes en ouverture de l’Hostias est une pieuse requête de recueillement à l’égard de Dieu afin qu’il accepte les hosties et les prières consacrées aux âmes des morts : Ugo Rabec nous offre alors sa plus belle performance de la soirée. Vers la fin du mouvement, le chœur intervient pour ouvrir une brèche dans l’œuvre, à travers une invocation aérienne, presque une intervention du von Suppè plus léger. Mais le ton assume, à nouveau, l’incorporation du sentiment du deuil et de la spiritualité dans le Sanctus, pour laisser la place à un dialogue à quatre dans le Benedictus. Le mouvement circulaire de l’œuvre s’accomplit dans le Dies Irae final dont le silence intervient comme le geste ultime séparant le corps et l’âme du défunt, livrant le jugement à un Dieu terrifiant mais qui reste à l’écoute de l’humain.